Les Amours du Pistachier

 

Le doyen du Jardin des Plantes est un discret pistachier. Le vaillant arbre de 300 ans est aujourd’hui un vieillard penché sur ses cannes, mais si nous pouvions l’entendre il nous raconterait sûrement ses amours de jeunesse avec la jolie pistachière du Jardin des Apothicaires. Un amour végétal qui a changé l’histoire des sciences.

Pendant longtemps les plantes n’avaient pas de sexes. Adam Zaluziansky von Zaluzian dans son Methodus Herbariae (Prague, Daczicenus, 1592) avait proposé un chapitre De Sexu plantarum, mais le concept était bien trop dérangeant pour les opinions de l’époque, la sexualité n’était affaire que d’animaux. Horreur ! Scandale ! Enterrons la chose… Il fallut attendre plus de 100 ans et les travaux de Rudolf Jakob Camerarius pour que, dans une (longue) lettre à Michael Bernhard Valentini publiée en 1694 à Tübingen, on découvre que les plantes arboraient des organes sexuels que l’on appelait jusqu’alors fleurs. Camerarius les décrit comme composés d’étamines - organes mâles – et du pistil – organe femelle – et le tout étant le siège de la reproduction sexuée des plantes. Horreur ! Scandale ! Enterrons la chose… mais cette fois ci la graine germa…

La grande affaire des botanistes d’alors était d’assembler des herbiers, répertorier des plantes, constituer des flores et des manuels d’identifications. Les botanistes parcourent le monde, rapportent des plants et des graines pour constituer des Jardins des Plantes dans toute l’Europe.

C’est lors d’un de ces voyages que Joseph Pitton de Tournefort ramène des graines de Pistachier de Chine à Paris. Tournefort meurt en 1708, la même année Sébastien Vaillant prend la direction du Jardin du Roi (actuel Jardin des Plantes).

1716, les graines de Tournefort ont germé et Paris possède deux pistachiers. L’un est au Jardin des Plantes (notre vieillard) et l’autre, à l’autre bout de Paris au Jardin des Apothicaires (aujourd’hui disparu), mais aucun des deux ne fournit de pistaches. Vaillant, qui a lu Camerarius et qui milite pour que les botanistes s’intéressent plus aux fleurs des plantes (dans un but premier de classification), tente une expérience.

Il attend la période de floraison des pistachiers, prend une branche pleine de fleur du pistachier du Roi et court l’agiter sous les branches du pistachier des Apothicaires. Miracle de la science, quelques semaines plus tard le pistachier des Apothicaires produit des pistaches !

Vaillant relate son expérience le 10 juin 1717 devant une assemblée d’étudiants médecins et botanistes. Quiconque est déjà rentré dans une salle de gardes d’internes, sait quel langage fleurit s’y pratique. Vaillant parle justement de fleurs et, entourés de carabins, se lâche. Il parle de la sexualité des plantes dans les termes de la sexualité des animaux, et donc des Hommes. Horreur ! Scandale !

Scandale qui vaudra à Vaillant d’être gentiment oublié par l’Académie des Sciences à laquelle il avait été pourtant élu l’année précédente. Et ce n’est qu’en Hollande que Vaillant ne put faire imprimer ses travaux : « Discours sur la structure des fleurs, leurs différences et l'usage de leurs parties prononcé à l'ouverture du jardin royal de Paris, le Xe jour du mois de juin 1717 » (Leide, Pierre Vander, 1718).

Pourquoi la sexualité des plantes était-elle si scandaleuse ? Peut-être parce que les fleurs étaient partout, sur les murs, dans les maisons, éléments de décoration jusque sur les armoiries du Roi de France. Parce qu’on humait de tout temps leurs doux parfums (qui du coup devenait odeur de génitoire) ?  

Quoiqu’il en soit les découvertes de Vaillant finirent par s’imposer lentement et transformèrent profondément la botanique. C’est en se basant sur Vaillant que Linné propose sa classification des plantes à partir des fleurs. Et c’est finalement au xixème siècle que l’on commencera réellement à exploiter les expériences de Vaillant sur la sexualité des plantes en les hybridant pour créer et sélectionner de nouvelles variétés dont nous nous nourrissons majoritairement aujourd’hui.